La lutte contre les dégâts des termites commence à s'organiser

Le Monde du  03.11.01

Cinquante-six départements, contre seize en 1953, sont aujourd'hui touchés par l'avancée des termites. Six millions d'habitations, soit vingt-cinq millions de personnes, sont ainsi menacées par les dégâts causés par ces petits insectes qui se nourrissent de bois. Longtemps minimisé, notamment parce qu'il pouvait faire baisser le prix des logements, ce fléau commence à être pris en compte par les pouvoirs publics. Une loi, en cours d'application, a été votée en 1999. Elle rend obligatoire la déclaration de la présence de termites dans un appartement, et prévoit des amendes si les travaux ne sont pas entrepris.

C'est un petit insecte redoutable. Il se nourrit de bois mais attaque aussi le papier, les tissus, le carton. En France, il vit généralement dans le sous-sol, mais, pour manger, lui et ses congénères envahissent des habitations et boulottent tout sur leur passage – de la cave aux toitures si on les laisse sévir : poutres, planchers, plinthes, huisseries, portes, lambourdes... Pour fuir la lumière, qu'il exècre, il creuse même des galeries dans le plâtre, le ciment ou le mortier. Ses dégradations ne sont pas apparentes : ni trou ni sciure. Bref, le termite est une vraie peste... "Rien n'est à l'abri de ses déprédations qui ont quelque chose d'effarant et de surnaturel parce qu'elles sont toujours secrètes et ne se révèlent qu'à l'instant du désastre", écrivait Maurice Maeterlinck, Prix Nobel de littérature, dans La Vie des termites. Formulé il y a soixante-quinze ans, le propos est plus que jamais d'actualité : plus de la moitié du territoire français est aujourd'hui infestée.

Les premiers dégâts avaient été constatés à la fin du XVIIIe siècle. Jusqu'à la Libération, l'infestation s'est grosso modo cantonnée au sud-ouest de la France et au pourtour méditerranéen. Puis les termites ont conquis de nouveaux territoires, pendant les Trente Glorieuses. "Ils se sont répandus dans les villes grâce au transport de matériaux de construction et de bois infestés", explique Jean-Luc Clément, chercheur au CNRS. L'utilisation d'essences peu résistantes, comme le pin, a également favorisé leur propagation. La généralisation du chauffage central leur a été aussi très bénéfique : ils y ont trouvé la chaleur et l'humidité qu'ils apprécient tant. Enfin, certains pensent que l'enfouissement des réseaux constitue un facteur aggravant. "La chaleur de la terre est un catalyseur de l'expansion des termites, confiait le responsable d'une association des Deux-Sèvres au Moniteur des travaux publics et du bâtiment du 15 juin. La présence de conduites de gaz et d'eaux pluviales ou usées à proximité (de câblages électriques) favorise le transit des (insectes) vers les habitations."

EFFONDREMENT DE CHAMBRANLES

Aujourd'hui, cinquante-six départements sont touchés, contre seize en 1953, d'après un rapport remis en 1999 par Marie-Line Reynaud, députée (PS) de Charente. "La progression enregistrée couvrirait un potentiel de six millions d'habitations, soit vingt-cinq millions de personnes", indique-t-elle. L'agglomération parisienne est concernée, elle aussi, et plusieurs quartiers huppés de la capitale ont subi de rudes offensives : la Muette dans le 16e arrondissement, les Gobelins dans le 13e ou la Sorbonne dans le 5e... Le prestigieux lycée Louis-le-Grand a ainsi dû être rénové au milieu des années 1990. D'après le service municipal d'actions de salubrité et d'hygiène (Smash) de Paris, pas moins de 1 531 immeubles étaient infestés – sur les 10 000 visités – dans la capitale à la fin 2000, mais ce chiffre est sans doute en deçà de la réalité car le Smash n'a inspecté qu'environ 10 % du patrimoine immobilier.

Les termites ont-ils déjà provoqué l'écroulement d'habitations ? Dans la région bordelaise, il est déjà arrivé que des charpentes rongées jusqu'au cœur tombent purement et simplement, mais ce type d'accident est rarissime et "il n'y a, à ma connaissance, jamais eu mort d'hommes", souligne Florent Vieau, zoologiste et maître de conférences à la faculté de sciences de Nantes. En revanche, des effondrements de chambranles ou de parquets sont plus fréquents. Parfois, des marches d'escalier cèdent sous le poids d'une ou de plusieurs personnes.

Des familles ont même été contraintes d'abandonner leur domicile envahi par les parasites.

Jean-Marc Pastor, sénateur (PS) du Tarn, indiquait, lors d'un débat au Palais du Luxembourg en janvier 1997, que dans son département, "vingt-deux ménages (avaient) dû être relogés" l'année précédente.

Jusqu'en 1999, il n'y avait pratiquement pas de réglementation nationale pour lutter contre les termites. Tout juste recensait-on un arrêté du ministère des finances, datant de 1992, qui autorisait les déductions fiscales pour les travaux préventifs et curatifs. Dans quelques départements et une trentaine de municipalités, des arrêtés avaient été pris pour, entre autres, interdire le transport de bois ou de matériaux contaminés, prescrire des traitements antitermites dans le sol avant toute construction et exiger la présentation d'un état parasitaire à chaque transaction immobilière.

Ainsi, la ville de Bourges (Cher) a débloqué, en 1997, 5 millions de francs pour éradiquer les termites dans le quartier de la Butte d'Archelet ; l'année suivante, elle a voté un arrêté de manière à éviter la "prolifération des foyers existants". Mais ces textes ou initiatives épars n'étaient pas à la mesure du problème. L'idée d'une loi s'est donc peu à peu imposée, grâce notamment à l'Association des villes termitées de France (AVTF). Fondée en 1990, elle réunit une quarantaine de communes et compte un conseil scientifique. L'AVTF a effectué un gros travail de sensibilisation et de lobbying ; une première proposition de loi a été déposée en 1993 par Jean-Pierre Camoin, alors maire d'Arles et sénateur (RPR) ; Jean-Marc Pastor a, par la suite, présenté un deuxième texte ; les deux propositions ont été fusionnées et, après une longue procédure, le Parlement a finalement adopté une loi en 1999 (lire ci-dessous).

Ce texte cherche à la fois à prévenir l'intrusion des parasites dans les habitations et à les en extirper. Mais pour l'appliquer, bien des obstacles intellectuels devront être levés. Un exemple : dans les Bouches-du-Rhône, près de la moitié des communes sont infestées, mais seulement 18 % des maires savent qu'il y a des termites sur le territoire de leur municipalité, selon une enquête de la direction départementale de l'équipement (DDE). Ignorance ? Politique de l'autruche ? Désir de minimiser le problème ? "Certains élus nient l'existence des termites car ils ont peur que le marché de l'immobilier s'effondre, analyse Gilles Landrin, de la DDE des Bouches-du-Rhône. Ils ne veulent pas se mettre des électeurs à dos. D'autres versent dans l'insouciance et estiment que cela ne relève pas de leur responsabilité mais de celle des particuliers."

RÉACTION DE HONTE

De même, occupants et propriétaires ne sont pas toujours très mobilisés. "Il faut relever la réaction de honte manifestée par ceux dont les biens sont atteints, déclarait Jean-Pierre Camoin en janvier 1997 au Sénat. C'est comme s'ils avaient des cafards ou des rats chez eux. Evidemment, ils ont également (...) peur pour leur patrimoine. Il n'est jamais intéressant de dire que l'on a une maison termitée dans laquelle il va falloir entreprendre des travaux (...)." D'autres personnes ont tendance à juger le problème "négligeable", relate Philippe Dress, du Pacte de Paris, une association spécialisée dans la réhabilitation de l'habitat ancien. Au bas de la colline Montmartre, des termites avaient été repérés dans une cinquantaine d'immeubles en 1996. Des aides financières furent proposées aux propriétaires pour réaliser des travaux. Mais l'offre fut acceptée pour une douzaine d'édifices seulement. "Mis à part un bâtiment attaqué à tous les niveaux, il ne s'agissait que de débuts d'infestations, raconte Philippe Dress, alors les gens minoraient le problème en disant : 'Oh, ce n'est que ça ?'"

Bertrand Bissuel


Les principales dispositions de la loi

La loi du 8 juin 1999 et un décret du 3 juillet 2000 définissent l'action des pouvoirs publics pour protéger "les acquéreurs et propriétaires d'immeubles" contre les termites.

 Obligation de déclaration. Dès qu'il a constaté la présence de termites dans son immeuble, l'occupant est tenu de le déclarer en mairie. Sinon, il s'expose à une amende de 3 000 francs.

 Etat parasitaire. Tout vendeur doit présenter un état parasitaire de son bien s'il souhaite que sa responsabilité ne soit pas engagée par l'acquéreur, du fait de la présence éventuelle de termites (il s'exonère ainsi de la "garantie de vice caché"). Pour être valable, l'état parasitaire doit avoir été établi dans les trois mois précédant l'acte de vente. Cette disposition s'applique aux immeubles situés dans les "zones contaminées ou susceptibles de l'être", délimitées par un arrêté préfectoral.

 Traitements de matériaux. En cas de démolition totale ou partielle d'un bâtiment en zone infestée, les bois et matériaux contaminés doivent être incinérés sur place ou traités avant d'être transportés ailleurs. Sans quoi, des amendes de 10 000 francs peuvent être infligées. Le traitement ou l'incinération sur place doivent être déclarés en mairie, sous peine d'amendes.

 Injonctions de travaux. Les maires peuvent délimiter, par arrêté municipal, des secteurs où les immeubles devront être inspectés et, le cas échéant, faire l'objet de travaux de prévention, voire d'éradication. Les propriétaires ont six mois pour prouver que ces démarches ont bien été entreprises. S'ils ne s'y astreignent pas, ils s'exposent à des amendes de 10 000 francs.

 Adresses. L'Association française pour la préservation du bois (tél. : 01-40-02-04-44) et le Centre technique du bois et de l'ameublement (tél. : 01-40-19-49-19 ou 05-56-43-63-00) communiquent les coordonnées d'experts et d'entreprises de traitement fiables et compétents. Il existe également deux sites Internet : www.termite.com.fr. et www.ctba.fr


Les DOM-TOM particulièrement frappés

Dans un rapport présenté en janvier 1997, Gérard César, sénateur (RPR) de Gironde, indique que le coût des dégradations provoquées par les termites est particulièrement important dans les DOM-TOM : il est estimé à plus de 10 millions de francs par an en Guadeloupe. Dans l'île de la Réunion, les dégâts causés aux habitations et aux meubles "sont considérables et même inquiétants pour l'avenir" , écrit le parlementaire ; de nombreux immeubles construits au cours des dix dernières années et des établissements publics sont très fortement endommagés, aussi bien au niveau des planchers, des faux plafonds que des charpentes. Certains édifices "représentent même des dangers réels pour les occupants", souligne Gérard César : "Il est à craindre notamment des chutes de faux plafonds faits de grandes plaques de bois contreplaqué ou l'effondrement de lourdes étagères, voire de toitures."